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« La fiscalité m’aide à comprendre comment un pays fonctionne »

Florence Baldo
Ingénieur Conseil

 

IMG20240817134914~3Pierre-Alain Chenour est « Tax Compliance Specialist » au sein de l’équipe Client Tax Services chez ING Amsterdam.

Il coordonne tous les sujets fiscaux avec les filiales d’ING. Il se caractérise comme un jeune Français parti à l’étranger pour découvrir une nouvelle culture et valoriser son profil dans le domaine fiscal. Dans son temps libre, il pratique l’athlétisme à haut niveau et explore le monde. Son dernier voyage en date était en Polynésie française sur les îles de Tahiti, Raiatea, Bora-Bora, Tahaa et Huahine.

Dans cette interview, il décrypte pour nous les arcanes de la fiscalité internationale. Souvent peu connue, même au sein des établissements financiers, cette fonction est pourtant essentielle.

 

Quel est ton parcours universitaire ?

J’avais commencé des études de santé à l’université. J’ai même validé ma première année. Quand j’ai fait mon premier stage à l’hôpital, je ne me suis pas vu soigner les gens toute ma vie. Je ne savais pas quelle nouvelle orientation choisir. Comme mon père et ma sœur, j’ai finalement opté pour le droit. Au début, à Assas, ce n’était pas la grande passion. J’ai même redoublé ma deuxième année à cause du droit administratif. En parallèle, je travaillais comme hôte d’accueil dans l’événementiel, notamment pour les Fashion Weeks, jusqu’à la fin de mon Master 1 : une superbe expérience sur le terrain que je recommande à tout le monde !

Au début de la licence, j’ai découvert le droit des contrats, les procédures civiles et pénales et surtout le droit fiscal : un vrai challenge intellectuel. Il faut savoir que la voie royale, c’est de faire du droit des affaires en Master 1, et la fiscalité en fait partie. Il n’y avait pas de sélection à l’époque, mais j’ai tout de même beaucoup travaillé pour avoir un bon dossier. J’étais plutôt bon en fiscalité, mais mon meilleur ami était vraiment excellent. Il a d’ailleurs intégré le cabinet Baker McKenzie. J’ai aussi apprécié le droit de la concurrence, des sûretés, des entreprises en difficulté…

J’ai effectué mon Master 2 en droit des affaires à l’Université Paris-Est-Créteil (UPEC). Entre les grèves de la fin du premier semestre et le début du Covid, les cours et les examens étaient tous en ligne. J’ai commencé mon premier stage à distance, à la Banque de France, en plein début de confinement. Je ne savais pas trop ce qui était attendu, je travaillais sur mon ordinateur personnel. Avec les mesures de relâchement, j’ai pu me rendre sur site et mettre en pratique mes connaissances sur la fiscalité des entreprises (TVA) et la fiscalité des individus (notamment les travailleurs détachés et les conséquences sur leurs résidences fiscales).

Comme j’avais visité Amsterdam deux ans auparavant, j’ai eu envie de compléter mon parcours par un Master là-bas. La pandémie était toujours présente, donc j’étais à nouveau 100 % à distance. Je n’ai pas souhaité passer le barreau car mon objectif était vraiment de travailler à l’étranger. En France, il faut passer 5 ans en cabinet d’avocat d’obtenir des équivalences à l’étranger. J’ai appris beaucoup de choses sur les prix de transfert, la fiscalité européenne, les conventions fiscales internationales… J’ai terminé par un stage chez Houthoff, l’un des plus grands cabinets des Pays-Bas, qui s’est très bien passé, en présentiel cette fois ! Juste après, j’ai eu l’opportunité de travailler chez ING Amsterdam au sein de l’équipe Client Tax Services.

 

Qu’est-ce que tu aimes dans la fiscalité ?

 

La fiscalité m’aide à comprendre comment un pays fonctionne. Il y a un budget face aux sommes collectées par l’Etat via l’impôt sur le revenu, la TVA, la fiscalité des entreprises… En fonction des besoins, l’Etat alloue ces sommes vers certains postes : l’emploi, le social, la santé, l’éducation, etc. Les mécanismes de la fiscalité sont complexes, et cela m’apporte la stimulation intellectuelle dont j’ai besoin au quotidien.

 

Peux-tu nous proposer un tour d’horizon des réglementations internationales en vigueur ?

 

FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) : les États-Unis demandent à tous les autres pays du monde de leur fournir les informations bancaires des US persons. Si FATCA est désormais bien connu, les reportings initiaux ont été complexes à mettre en place. Un tribunal belge a même jugé que FATCA était illégal car unilatéral et intrusif en raison des informations sensibles demandées.

CRS (Common Reporting Standard ou DAC2) : FATCA a inspiré l’OCDE qui a rassemblé un consortium d’environ 140 pays autour de la Norme Commune de Déclaration. Le fonctionnement est cette fois multilatéral en vertu de l’Automatic Exchange of Information, et transparent entre les différentes juridictions. Cette directive permet à tous les pays participants de s’aligner sur la lutte contre l’évasion fiscale et la LCB-FT, puisque le financement de ces pratiques passe par les institutions financières. C’est pourquoi on peut la qualifier de mesure juste au regard de notre monde globalisé. C’est aussi une prouesse technique qui illustre bien la notion d’interdépendance.

US Withholding Tax – QI : toute non US person qui investit dans des titres US reçoit des dividendes ou des intérêts. Les États-Unis appliquent une retenue à la source sur ces revenus. C’est la fameuse Withholding Tax. Par ailleurs, les US persons qui résident aux États-Unis touchent des revenus de l’étranger. Ces deux phénomènes convergent et font l’objet de reportings obligatoires. Cela suppose de connaître les règles de documentation des clients des banques. Ces dernières doivent s’adapter pour collecter et classer des volumes importants. La liaison entre le Front Office et le Back Office n’est pas toujours fluide. Ce dernier intervient en bout de chaîne, avec une forte déperdition d’informations. Ce chaos administratif génère beaucoup de sanctions ! La plupart du temps, les process existent mais ne sont pas suivis à 100 % par manque de temps. C’est pourquoi on met en place des plans de remédiation.

DAC 6 : dans la continuité de la DAC2, cette directive vise toujours plus de transparence fiscale. Elle pose l’obligation de divulguer les montages liés à l’optimisation fiscale agressive, avec intermédiaire. Or, les institutions financières sont bien des intermédiaires. La question qui demeure est : « Est-ce qu’elles sont des intermédiaires qualifiés ? Font-elles partie du scope de reporting ? » Les avocats sont clairement concernés mais sont tenus au secret professionnel. Si l’idée de départ est valable, la mise en œuvre est difficile. Le volume de montages identifiés est faible depuis l’entrée en vigueur en 2020.

DAC7 : cette directive concerne les obligations de reporting pour les plateformes en ligne et les marketplaces.

DAC8 : cette directive apporte un cadre de travail rigoureux ainsi qu’une mise à jour de la DAC2, avec des précisions importantes sur certains champs (comptes nouveaux versus comptes préexistants, qualité des bénéficiaires effectifs pour les institutions financières dites « passives »…). Pour rappel, la transparence fiscale existe quand les associés d’une entité légale ont opté pour ne pas être imposés sur les bénéfices mais sur leurs revenus personnels. Le registre des bénéficiaires effectifs peut être consulté par les tiers autorisés, dont les institutions financières. En cas d’opacité, au contraire, les individus sont imposés sur les bénéfices (dividendes ou autres rémunérations). Quand les entreprises sont de taille importante, la forme légale est souvent opaque avec un impôt sur les sociétés à 21 % qui correspond à une flat tax. Au contraire, les associés personnes physiques de sociétés fiscalement transparentes sont imposés au barème progressif de l’impôt sur le revenu pouvant aller jusqu’à 45 % pour les revenus supérieurs à 180.000,00 euros. C’est une suite logique : chaque DAC instaure de nouvelles mesures pour améliorer la transparence fiscale. Il en va de même pour les piliers 1 et 2 de l’OCDE qui mettent en avant la notion d’égalité fiscale.

 FASTER (Faster and Safer Relief of Excess Withholding Taxes) : cette directive vise à instituer des mécanismes de collecte et de retenue à la source en euros. Par exemple, une entreprise française qui distribue un dividende peut amener une double imposition. En allouant la souveraineté fiscale à l’un des deux Etats concernés, et si l’impôt est dû dans les deux pays, un mécanisme d’exemption ou de crédit d’impôt va s’activer dans le pays n’ayant pas la souveraineté pour imposer ce dividende. Actuellement, cela nécessite de remplir de nombreux formulaires. Les investisseurs renoncent car c’est trop contraignant. FASTER va faciliter, ou du moins encourager, les investissements à l’étranger en digitalisant et en accélérant ce process.

 

D’après toi, l’Europe fiscale est-elle un mythe ou une réalité ?

 

Au regard de toutes ces législations, l’Europe fiscale est une réalité. On dispose d’une meilleure connaissance des sociétés, les reportings sont numérisés, peut-être même seront-ils bientôt dans des blockchains. La limite de tout cela reste évidemment l’aspect déclaratif qui peut générer des erreurs ou inexactitudes.

Cependant, tant que les Etats membres conservent leur souveraineté, ils décident du procédé d’adoption des directives. Par exemple, pour la TVA, l’Union européenne s’est efforcée de mettre en place un standard minimum avec un taux de 15 % pour les produits et services. Ce taux diffère toujours selon les pays.

L’exemple de l’impôt sur les sociétés est le plus connu du grand public : Google, Amazon et d’autres grandes sociétés américaines ont leur siège européen en Irlande car ils n’y paient que 12,5 % de taxes.  Cette compétition fiscale entre les Etats membres entraîne une collecte plus faible mais les recettes sont très importantes et le marché de l’emploi en bénéficie aussi. En France, l’impôt sur les sociétés est a 25%, ce qui reste moins attractif que d’autres Etats membres. Je suis en faveur d’une unité fiscale à 21 % qui mettrait fin à ce jeu du chat et de la souris.

Il n’est pas souhaitable de conserver ces différences puisque le projet européen repose sur un espace économique unique. Cette unité a été perdue de vue depuis le référendum de 2005 ayant abouti sur un rejet de la Constitution pour l’Europe. Dans un monde globalisé, chaque Etat membre est représenté par le biais de l’Union Européenne, ayant un poids économique représentatif à l’échelle du monde… Comme chaque Etat membre, individuellement, n’est pas représentatif sur cette échelle, surtout face à des superpuissances comme la Chine et l’Inde, elle doit pouvoir s’appuyer sur une Union européenne forte. Les petits pays comme Malte l’ont bien compris.

 

Quelles sont les qualités requises pour travailler dans le domaine de la fiscalité ?

D’abord, il faut disposer d’une excellente organisation intellectuelle afin d’évaluer des mécanismes complexes. L’esprit de synthèse est aussi essentiel, notamment quand on lit des pages de décisions très techniques du Conseil d’Etat…

Ensuite, ces dernières années, une appétence pour la compréhension des Data est essentielle. De nombreuses informations sont toujours gérées sous Excel malgré l’existence de quelques bons logiciels. La fiscalité a aussi une dimension très opérationnelle : une mission de conseil chez un client peut ainsi consister à retranscrire les comptes financiers du point de vue de l’Internal Revenue Service. Une consolidation très précieuse pour la banque !

Enfin, la curiosité et l’esprit d’aventure sont cruciaux. Avant de prodiguer des recommandations sur les prix de transfert, par exemple, il faut comprendre comment ils sont structurés et quelle histoire ceux-ci racontent d’une société et de ses filiales.