Consultante
Pendant la période estivale, les publications n’ont pas faibli autour de l’IA générative. Le potentiel de ces nouvelles technologies est vanté par les différents médias et présenté comme révolutionnaire et disruptif par les startups en créant un sentiment d’urgence. Nous avons orienté nos lectures et nos recherches sur l’utilisation de l’IA dans la lutte contre la fraude en assurance santé.
IA générative, de quoi parle-t-on et pour quoi faire ?
La CNIL définit l’IA comme « un procédé logique et automatisé reposant généralement sur un algorithme et en mesure de réaliser des tâches bien définies ».
Dans son plan relatif à l’IA publié en mai 2023*, elle décrit l’IA générative en tant que « système capable de créer du texte, des images ou d’autres contenus à partir d’une instruction d’un utilisateur humain. Ces systèmes produisent de nouveaux contenus à partir de données d’entraînement ».
Si les approches traditionnelles d’apprentissage automatique reposent sur des modèles logiques ou des modèles discriminatifs visant à automatiser ou classer, les nouveaux modèles génératifs apprennent de manière implicite à partir des données et peuvent accomplir des tâches variées sans être explicitement programmés pour chacune.
Afin de rendre les données générées encore plus pertinentes, notamment, pour la génération de textes, on parle souvent de cas d’usage de type « RAG » (Génération augmentée de récupération) qui permet en plus des données apprises pendant la phase d’entrainement, de contextualiser les données ou les rendre plus pertinentes. Le RAG, à titre d’exemple, permet au modèle de « consulter » une base de données ou un corpus de documents externes en temps réel pour enrichir sa génération de texte. Cette capacité de recherche améliore significativement la précision, la pertinence et la richesse du contenu généré.
L’IA générative n’est pas un outil, mais un concept, une idée, un modèle ou des modèles qu’il faut entrainer pour créer la solution dédiée à un cas d’usage donné. En réalité, nous retrouvons 3 approches complémentaires de mise en application d’un système d’IA :
- L’approche symbolique s’appuyant sur des règles et des référentiels fournis par des experts pour créer des modèles logiques. Ils permettent notamment l’automatisation de tâches.
- L’approche statistique reposant sur des ensembles de données afin de concevoir des modèles discriminants. Nous les retrouvons tout particulièrement dans les outils d’aide à la décision.
- L’approche probabiliste se basant sur des suppositions et des probabilités pour créer des modèles génératifs. Ils s’appliquent sur des modèles de manipulation ou de création de contenu.
Et dans le domaine de l’assurance ?
Les technologies de l’IA générative permettent d’extraire les données significatives à partir d’une masse importante de données. Dans le secteur de l’assurance, les processus métier les plus à même de tirer parti de ces fonctionnalités sont la détection des fraudes, la relation client et la gestion de documents ou d’informations.
En matière de détection et de prévention des fraudes, l’IA est une arme à double tranchant. D’une part, on observe le perfectionnement de la fraude à travers les techniques de l’IA générative qui permet des avancées spectaculaires. D’autre part, les professionnels de la prévention de la fraude emploient depuis quelques années déjà des technologies dotées d’une IA pour détecter les activités frauduleuses. La lutte contre la fraude se transforme ainsi en un perpétuel champ de bataille dont le paysage évolue en permanence.
Jusqu’à aujourd’hui, les solutions de lutte contre la fraude permettaient de réaliser les tâches trop complexes et/ou chronophages. Pour détecter les cas de fraude, d’abus ou encore des erreurs, les experts métiers identifient les traitements pertinents à industrialiser permettant de croiser les données provenant de sources différentes afin d’obtenir les prédictions qui correspondent à des alertes de suspicion à confirmer par les métiers. Ainsi, les experts métiers travaillent main dans la main avec les équipes de Data scientists et des équipes informatiques d’automatisation / industrialisation de la production. L’expertise métier y est primordiale alors que les outils avec l’IA ou sans ont permis d’optimiser les schémas existants.
Les nouveaux modèles génératifs vont-ils imposer de nouvelles solutions beaucoup plus perfectionnées et identifier les nouveaux schémas de fraude ?
Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Florence COURTET, Responsable Cellule maîtrise des coûts des risques chez Almerys, Christophe Ferrand, Directeur Général d’Actil afin de mieux comprendre les opportunités de l’IA dans la lutte contre la fraude et l’état de leur réflexion sur ce sujet sensible.
ALMERYS
ALMERYS est un opérateur de gestion de prestation santé en Tiers Payant. Il garantit la relation entre les professionnels de santé, les organismes d’assurance complémentaire et leurs bénéficiaires.
ALMERYS est actif dans le domaine de lutte contre la fraude depuis 2016. Avec une équipe dédiée, composée de data scientistes, d’experts métiers et des spécialistes de l’industrialisation, ALMERYS a développé la solution BE FRAUDE. Cette solution est un ensemble d’algorithmes intégrés dans son système d’information. Elle repose sur d’une part un socle métier comprenant des règles métiers et d’autre part, un enrichissement constant en données qui permettent la définition des parcours de soins, discipline par discipline.
Performante pour détecter des fraudes, des abus ou des erreurs, la solution BE FRAUDE a la capacité d’absorber une quantité massive de données, les rapprocher, les analyser et identifier les comportements déviants. Un expert de lutte contre la fraude pourrait le faire, mais le temps qu’il mettrait à croiser toutes ces données serait beaucoup plus long. Cependant, l’IA seule n’est rien, l’intervention métier est indispensable ! Si l’IA est un facilitateur, il ne remplacera pas l’expertise métier. Le croisement des données peut tendre vers une piste incohérente, mais seule une lecture humaine, permet d’expliquer la piste surtout dans le domaine de la santé. Selon Florence COURTET, l’IA seule pourrait même être dangereuse. Elle pourrait partir sur des raisonnements déviants, voire éthiquement incorrects. Il est donc indispensable de la réorienter vers l’objectif recherché : détecter les actes malveillants.
« Il y a un vrai phénomène d’accroissement de la fraude, des abus et des erreurs, en lien tout simplement avec la dématérialisation du parcours de soin. C’est facilitant pour l’assuré, le praticien mais aussi pour les déviances » comme le souligne Florence COURTET. Ces pratiques frauduleuses se partagent via les réseaux sociaux. Nous sommes face à des collectifs bien organisés. Le 100% Santé a accéléré ce phénomène. Certains professionnels y ont trouvé une opportunité de facturer davantage sans alerter le bénéficiaire. Dans ce contexte, ALMERYS a dû intensifier ses méthodes de détection, en étant plus performant, et en allant plus loin sur l’industrialisation de l’IA afin de détecter tous les schémas.
ACTIL
Actil, spécialiste de la gestion des réseaux de santé et du tiers payant utilise la solution fraude de Shift Technologies depuis 3 ans.
Concomitamment à la mise en route de la solution technologique Shift en 2021, Actil a mis en place le Service d’Investigation et d’Analyse (SIA) pour cibler les professionnels de santé fraudeurs et les erreurs dans les traitements.
Cette solution opérationnelle a permis de construire un cadre organisationnel et détecter avec les moyens humains dans un premier temps des suspicions de fraude et des erreurs.
Pour identifier la fraude à l’assurance santé, l’expertise métier est donc déterminante. La fraude et la faute à l’assurance santé sont des notions qui recouvrent une multitude de cas, impliquant une multitude de contrôles et de modèles. La masse d’informations à traiter rend ces contrôles extrêmement chronophages. C’est ainsi qu’en 2019, Actil a fait appel à Shift Technology et à sa solution de détection de fraudes en assurance santé, basée sur la détection de corrélations, capable de croiser des volumes de données importants et issues de sources variées, reposant sur le processus organisationnel défini en amont.
Nous pouvons parler de l’intelligence artificielle, lorsque le système apprend par lui-même et est capable d’identifier de nouveaux schémas de fraude à travers des analyses et des déductions proches de l’intelligence humaine, selon Christophe FERRAND. Aujourd’hui, les possibilités de calculs sont illimitées.
En 2021, la préoccupation centrale pour Actil dont la spécificité est d’intervenir dans la gestion des flux et du tiers payant auprès des professionnels de santé était de détecter les suspicions de fraudes ou d’erreur a priori, donc avant le paiement. En effet, a posteriori la récupération des prestations frauduleuses déjà payées peut s’avérer couteuse et peu efficace.
« Aujourd’hui, on observe le perfectionnement de la fraude, souligne Christophe FERRAND. La mise en place de la solution Shift il y a trois ans nous a permis d’assainir notre écosystème avec les professionnels de santé ».
Concernant le développement des modèles génératifs, le potentiel de ces solutions est probablement du côté de l’IA prédictive, capable d’anticiper les cas de fraude, ou encore de solutions combinant les outils fraude tiers payants avec les outils de fraude documentaires. La prise en compte de moyens de paiements ou d’autres éléments tangibles de traçabilité utilisés constitue également un axe intéressant.
Conclusion
Lorsque nous faisons recours aux technologies de l’intelligence artificielle pour la détection et la prévention des fraudes, nous devons comprendre qu’une solution efficace de prévention des fraudes ne se limite pas à la technologie utilisée. Elle nécessite un véritable cadre organisationnel formant un écosystème de prévention des fraudes dans son ensemble. Parmi ses différents aspects, nous pouvons mentionner, entre autres, la formation, l’expertise métier et l’analyse des données. L’IA ne remplace pas les professionnels. Elle ajoute plutôt une corde à leur arc d’expert et agit sur la qualité de la solution apportée.
L’IA générative apportera des opportunités dans la chaine de traitement avec la mise en œuvre de nouveaux schémas, accompagnée d’une approche prédictive.
Le recours à l’IA soulève également des problématiques liées à la dépendance des startups spécialisées dans l’IA up ainsi que les risques associés à la gestion des données hautement stratégiques.
Nous suivrons de près l’actualité sur l’IA et la lutte contre la fraude avec notamment la journée évènement « Lutte contre la fraude » du 3 octobre.
Sources
*CNIL (mai 2023) Intelligence artificielle : le plan d’action de la CNIL | CNIL